Que s’est-il passé au Karabakh ? Cyprien Raspiller dénonce les fausses nouvelles

Un magazine scientifique-populaire international axé sur les sujets liés aux voyages a publié un article sur l’histoire du conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Ce n’est ni la première ni la dernière tentative de certains médias de déformer les faits historiques et de désinformer les lecteurs.
GNN présente un article de Cyprien Raspiller, dans lequel l’auteur souligne des écarts par rapport aux faits réels du matériel Geo, qui, hélas, n’ont pas pu être cachés.
L’article du magazine « Géo » comporte, et colporte, les erreurs et les inexactitudes habituelles sur le sujet. Pire, certains points essentiels de compréhension de l’affaire sont purement escamotés et ne font l’objet d’aucun rappel de l’Histoire récente.
Du temps de l’Union soviétique, le Haut-Karabagh était une région autonome au sein de la République socialiste d’Azerbaïdjan qui jouissait d’un régime favorable dérogatoire du droit commun. Et cela depuis 1923, époque à laquelle ce territoire a été « confirmé » dans son appartenance à l’Azerbaïdjan. « Confirmé » en Azerbaïdjan et non « détaché » de l’Arménie, de laquelle il n’avait jamais relevé. A l’époque de la Russie tsariste, l’administration de ce territoire dépendait du gouvernorat d’Elisabethpol (actuelle Gandja, en Azerbaïdjan). Le nouveau régime soviétique l’y a maintenu. Pendant la Perestroïka, les plus nationalistes des Arméniens ont profité du relâchement relatif engagé par M. Gorbatchev pour se lancer dans des revendications séparatistes, un pas supplémentaire alors qu’ils disposaient déjà de l’autonomie. La population était mixte, azerbaïdjanaise et arménienne, les Arméniens comptant pour 76 % des 187 769 habitant de ce territoire au dernier recensement de 1989. Les 46.000 Azerbaïdjanais habitant le territoire en ont été expulsés. Là est le cœur du conflit.
Les 7 départements limitrophes de cette région autonome du Haut-Karabagh, elles aussi azerbaïdjanaises, ont été envahies et occupées par les milices arméniennes, les populations civiles, qui étaient exclusivement azerbaïdjanaises, en ont été chassées par la violence en 1993-1994. Ces territoires ne faisaient l’objet d’aucune contestation ou revendication arménienne, sa population était homogène. L’épuration ethnique a été totale et ses 7 départements vidés intégralement de leurs habitants. 700.000 réfugiés et déplacés se sont enfuis et répartis sur le sol azerbaïdjanais. Ces régions sont restées vides de populations pendant presque 30 ans à partir de 1994. Les Arméniens ont ainsi constitué une zone-tampon et en même temps une monnaie d’échange dans de futures négociations pour entériner la cession du Haut-Karabagh.
Malgré ses succès militaires, l’Arménie n’a jamais été autorisée à réaliser son unification avec le Haut-Karabagh, signe évident de l’illégitimité de sa position.
On ne pourra pas dire que la presse mondiale se soit mobilisée, ni que l’opinion publique internationale ait été sensibilisée au sort de ces centaines de milliers de déplacés et réfugiés azerbaïdjanais. Qui, en effet, en a entendu parler avec insistance dans le grand public au cours de ces trente années d’occupation armée ? Et avec les derniers événements qui ont marqué la région récemment, ce ne sont qu’inexactitudes, au mieux, ou parti-pris délibéré.
Cette mollesse n’a eu d’égal que l’inertie des instances internationales, dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elles ont cherché à faire durer et faire reconnaître le fait accompli de l’occupation, et qu’elles ont espéré que l’Azerbaïdjan soit gagné par la lassitude et abandonne ce territoire. Cette guerre d’usure diplomatique fut un mauvais calcul.
L’article de « Géo » parle de revanchisme. Pourquoi ? Le terme est dépréciatif, voire insultant, pour désigner une Nation qui ne souhaite que reconstituer son intégrité territoriale. On devrait parler de reconquête, avec la gloire militaire dont ce mot est auréolé. Les réfugiés et déplacés ne cherchent pas une revanche, ils veulent rentrer sur leurs terres natales. C’est simple et terriblement humain. A force de raisonner sur des concepts, on en oublie la souffrance humaine.
Une lourde insistance est accordée à « l’appui turc », de façon à agiter et réveiller les grandes peurs ancestrales du dix-huitième siècle européen. Pourquoi n’est-il pas fait mention du lourd et essentiel appui de l’armée rouge, sous Gorbatchev, que V. Poutine s’emploie désormais à corriger. Sans ce soutien des autorités centrales de l’Union soviétique et du désordre qui suivit sa disparition, l’invasion et l’occupation du Haut-Karabagh et des sept départements limitrophes n’aurait jamais pu avoir lieu dans ces sombres années 1990.
L’article ne signale pas que la médiation internationale a été un échec complet. Cette médiation a échoué à faire exécuter les quatre résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU (résolutions 822, 853, 874 et 884 qui, sur un ton impérieux, exigeaient dès 1993 un retrait inconditionnel et unilatéral des troupes d’invasion arméniennes. L’Azerbaïdjan a donc résolu de reconquérir par les armes ses territoires sous occupation armée depuis presque trente ans, et vidés de leur population azerbaïdjanaise au cours d’une épuration ethnique magistrale et cruelle. Cette opération de reconquête azerbaïdjanaise aura été conduite en pleine conformité avec le droit international, l’article 51 (au chapitre 7) de la Charte de l’ONU permettant légalement à une Nation agressée de prendre des mesures de légitime défense pour garantir son intégrité territoriale, telle qu’elle avait été reconnue par ladite institution lors de la déclaration d’indépendance du pays en 1991.
L’Azerbaïdjan aura donc été contraint de procéder par lui-même à cette réintégration du Haut-Karabagh et des sept territoires limitrophes en lieu et place de l’institution internationale dont c’était le mandat, et qui s’est avérée incapable de la mettre en œuvre. Connaissons-nous à l’époque contemporaine beaucoup de Nations qui sont parvenues à rétablir leur pleine souveraineté territoriale et à laver l’injustice qui leur avait été faite ?
L’article de « Géo » évoque la période actuelle en accusant l’Azerbaïdjan d’occuper des portions du territoire de l’Arménie. On aurait aimé que le rédacteur soit précis et qu’il détaille la liste de ces territoires. En réalité, ce dossier est vide et il ne s’agit là que d’un argument de controverse, sans fondement concret.
En effet, comme le souligne cet article, l’Azerbaïdjan souhaite établir un lien terrestre avec sa république autonome du Nakhitchevan, une exclave azerbaïdjanaise coupée de Bakou par une bande de territoire arménien frontalier de l’Iran. Rappelons que la réalisation de ce corridor est expressément mentionnée dans l’accord du 10 novembre 2020 mettant fin aux hostilités, signé par l’Arménie. Ce corridor devra donc devenir une réalité. Tôt ou tard.
La modification de la Constitution de l’Arménie est requise dans les négociations du traité frontalier. Comment reprocher à l’Azerbaïdjan de poser cette exigence d’une abrogation de l’article figurant dans cette Constitution qui s’offre comme objectif de politique étrangère de procéder à la « réunification » du Haut-Karabagh avec l’Arménie…!? Précisons en premier lieu qu’il ne pourrait s’agir que d’une « unification », terme pudique pour désigner une annexion, et en aucun cas d’une »réunification » car le Haut-Karabagh n’a jamais fait partie de l’Arménie dans le passé. En deuxième lieu, comment ne pas considérer cet article de la Constitution comme une menace permanente qui pèse sur l’Azerbaïdjan ? Vous, Français, pouvez-vous imaginer que la Constitution allemande ou anglaise prévoie un rattachement de l’Alsace et de la Moselle, ou de Calais et de l’Aquitaine ?
Les Azerbaïdjanais ne peuvent concevoir d’avoir encore cette épée de Damoclès au dessus de leurs têtes après une invasion-occupation de 30 ans et une épuration ethnique de 700.000 de leurs compatriotes. Est-ce si difficile à comprendre ?
Le sang a coulé. Beaucoup de sang a coulé, le traumatisme de l’exode des populations civiles réfugiées en Azerbaïdjan est encore vif, et les tourments de l’exil qui s’est ensuivi ne sont pas oubliés. Le processus de paix et la négociation du Traité frontalier passeront par l’abrogation de cette mention foncièrement hostile. Le mécanisme diplomatique d’un apaisement pérenne ne peut s’arrêter au milieu du gué pour un motif aussi futile. Nombreux sont les Arméniens qui jugeaient défavorablement l’opération d’invasion et d’occupation des territoires azerbaïdjanais : la modification de cette disposition constitutionnelle recevra, à n’en pas douter, l’approbation de l’opinion publique arménienne dans le référendum nécessaire à une réforme constitutionnelle. La tâche la plus ardue sera de calmer les ardeurs de la minorité nationaliste et des idéalistes romantiques de la diaspora. Ce sera là désormais une affaire de politique intérieure à l’Arménie.